Je voudrais aborder le cas du pervers narcissique, cet individu toxique, manipulateur et destructeur dont nous entendons si souvent parler.
Dans l’article qui suit, je vais d’abord situer les choses en parlant de la perversion en tant que catégorie générale. Puis j’aborderai la personnalité du pervers narcissique qui constitue une sous-catégorie psychologique.
Le pervers prend plaisir à faire mal
Il est important de retenir en premier ce que le sens commun et la philosophie disent de la perversion : le pervers est celui qui prend plaisir à faire du mal à autrui et qui peut être un véritable bourreau.
C’est un trait fondamental et celui bien sûr qui génère des troubles traumatiques très importants chez les victimes et pose de gros problèmes à l’ordre social.
Les affaires récentes de viols sous soumission chimique ou de serials killers sont là pour nous rappeler l’horreur de ce que peut être la perversion et sa pathologie.
Le pervers à travers les siècles
Il est vraisemblable que les pervers ont existé de tous les temps et il est possible d’identifier à travers les siècles de nombreux individus particulièrement toxiques et dangereux (Néron, Gilles de Rais, Jack l’éventreur…).
Il a ainsi toujours été manifeste que certains êtres humains jouissaient de faire du mal à leur prochain.
Les explications quant aux ressorts profonds du fonctionnement de tels individus ne se faisaient pas en termes psychologiques. Elles se tenaient en termes moraux et en l’établissement d’une frontière entre le Bien et le Mal.
Le pervers était donc celui qui incarnait le mal et était habité par le diable dans les cultures européennes imprégnées de christianisme.
Il n’était alors pas question de traitement pour les pervers mais de punition ou d’exorcisme.
Le pervers ne veut pas changer
Commençons à caractériser un peu sous l’angle psychanalytique la pathologie du pervers et sa structure psychique.
Le pervers est conscient de son état. Il n’éprouve pas de culpabilité et il se vit comme supérieur aux autres.
Nous ne sommes à ses yeux que des gens médiocres et étriqués, sujets à la culpabilisation et qui sont empêchés de vivre pleinement par des préventions morales, des limites et des normes.
Il ne doute pas de son droit à la transgression et ne cherche pas à changer.
Un propos judicieux sur la perversion ne visera donc pas expliquer comment un pervers ou un pervers narcissique en venant voir un psychanalyste pourra suivre un traitement et être guéri, puisqu’il ne le souhaite pas.
Mais à aider à identifier ses traits de fonctionnement destructeurs et à offrir un soutien à ses victimes.
Ce qui permettra à celles-ci de se protéger en sortant de l’emprise du pervers et de comprendre ce qu’elles ont elles-mêmes mis en jeu.
La perversion remonte à l’enfance
Avec Freud et la clinique psychanalytique, nous changeons de perspective anthropologique.
Nous passons d’une classification en termes de vices moraux, à une approche permettant de comprendre la genèse psychologique et le fonctionnement des mécanismes profonds de la perversion.
Nous avons tous des tendances perverses dans l’enfance.
Freud disait que l’enfant est un pervers polymorphe. Attention, il ne s’agit pas de dire que l’enfant possède une tendance naturelle à répondre aux perversions des adultes et à leurs sollicitations sexuelles (ce qui est un contre-sens qui arrange bien les pédophiles).
Cela veut dire que l’enfant n’est pas mature sexuellement et qu’il va avoir besoin d’un long temps de développement pour parvenir, après l’exploration des zones érogènes (c’est le côté polymorphe), à une organisation génitale harmonieuse.
Il est donc particulièrement fragile et manipulable, et il va lui falloir pour devenir un adulte équilibré et heureux, une famille et un environnement protecteurs et attentifs qui veilleront à générer le moins possible d’équivoques sexuels.
L’éducation et l’intégration des interdits sociaux conduisent normalement à une organisation psychique à peu près équilibrée et harmonieuse.
Chez le pervers, cette évolution ne se produit malheureusement pas : il refuse d’accepter la limite et le manque inhérent à la condition humaine.
Il vise au plaisir absolu, sans limite (comme le nourrisson qui pense qu’il pourra fusionner avec sa mère).
Nous savons toutefois grâce à la psychanalyse que le plaisir humain restera toujours modeste et décevant par rapport à ce que nous espérerons ou fantasmons.
En effet, une personne pour se constituer psychiquement d’une façon normale, passera par un processus que les psychanalystes appellent la castration.
Celui-ci suppose que pour vivre en communauté avec d’autres êtres humains, il faut nécessairement accepter des limites et des interdits.
Nos désirs seront donc toujours limités dans leur accomplissement, et contrairement à ce que croit un temps le jeune enfant, la toute-puissance et le plaisir absolu ne nous sont pas accessibles.
Les différences entre perversion et névrose
Faisons un petit récapitulatif pour bien visualiser ce qui distingue le névrosé du pervers.
Définition de la névrose : Le névrosé est un sujet qui a connu un développement « normal » et qui va intégrer psychiquement les normes (familiales et sociales).
Les psychanalystes diront qu’il va intérioriser l’interdit et qu’il va se constituer un surmoi.
Le névrosé peut avoir des fantasmes pervers. Mais il ne passera pas à l’acte.
Il est sujet à la culpabilité et il n’accède pas complétement au plaisir.
Définition de la perversion : Le pervers est un sujet refuse la castration. Il connaît la loi, mais il va la refuser et la contourner pour atteindre (croit-il) le plaisir absolu.
Il a une certaine lucidité vis-à-vis de sa structure psychique et il ne souhaite pas changer.
Il ne suivra ainsi jamais de son propre chef chez une thérapie.
Il n’y a donc rien à espérer d’une relation avec lui et il faut chercher à s’en protéger.
Les différentes formes de perversions
La psychanalyse décrit plusieurs types de perversions :
Les perversions sexuelles : fétichisme, voyeurisme, exhibitionnisme, sadisme, masochisme… Ces pratiques étaient considérées à l’origine de la psychanalyse comme perverses dans la mesure où elles s’écartaient de la génitalité dite normale.
Mais les mœurs ont évolué et elles ne sont désormais caractérisées comme perverses que dans la mesure où autrui est rabaissé au simple rang d’objet et que l’altérité et le consentement du ou de la partenaire sont niés.
La perversion narcissique : elle a été décrite par Paul-Claude Racamier.
Le pervers narcissique a un narcissisme démesuré. Il se « fait valoir aux dépens d’autrui ». Pour lui, l’autre n’est pas respecté comme sujet mais traité comme un objet. Il l’utilise les faiblesses de celui-ci à ses propres fins, pour sa satisfaction et le rayonnement de sa personne. En amour, il ne peut supporter la perte ou le vide alors, pour retenir et exercer un contrôle sur son ou sa partenaire, il utilise la manipulation, le chantage, l’isolement, le dénigrement.
Fait très important : le pervers narcissique idéalise très fortement sa ou son partenaire.
C’est ce phénomène qui explique pourquoi la victime du pervers narcissique peut tomber dans ses rets et rester sous son influence. Même si le pervers narcissique alterne vis-à-vis de celle-ci des phases d’idéalisation et d’abaissement.
Sont apparus enfin ce que nous pourrions appeler des perversions sociales : abus de pouvoir, manipulation… Ces pratiques désastreuses apparaissent par exemple de plus en plus souvent dans les entreprises dysfonctionnelles qui génèrent beaucoup de stress (voir les travaux de Christophe Dejours).
Nous n’avons pas nécessairement affaire à de véritables pervers. Mais la pression que les entreprises mettent sur les salariés favorise les comportements pervers. Des phénomènes de docilité et de grégarité apparaissent au sein des équipes intimidées. Ce qui laisse une plus grande latitude aux « petits chefs » pour abuser de leur pouvoir et malmener leurs collaborateurs et en faire leurs victimes.
Surtout que les principaux acteurs peuvent être pris dans un mécanisme de déni.
La réglementation a heureusement évolué et les cas d’abus ou de harcèlements sont désormais mieux identifiés et combattus.
Comprendre le pervers narcissique pour s’en protéger
Le pervers narcissique manque complètement d’empathie pour les autres.
Il sait choisir ses victimes et détecter chez elles les faiblesses et les failles narcissiques.
Il sait toutefois bien cacher son jeu car il est souvent intelligent et subtil.
Le pervers narcissique utilise l’arme de la séduction plus que de la contrainte.
Il est d’autant plus difficile de s’en protéger que l’entourage et la famille ne peuvent soupçonner ses agissements car il les réserve à la plus stricte intimité.
Une fois sa victime assujettie et sous emprise, il s’emploiera à l’isoler, à la déprécier et à saper son estime de soi.
Le pervers narcissique est ainsi un spécialiste de la séduction, de la manipulation, du contrôle et de la dépréciation.
S’il peut donner l’impression d’avoir de l’empathie et des sentiments pour sa victime, il ne fait que mimer l’amour.
Avec lui, la communication sera toujours biaisée et il est inutile d’espérer qu’il change.
Quel est le rôle de la victime du pervers narcissique ?
Une question délicate demeure.
Nous sommes heureusement parvenus à caractériser le pervers ou le pervers narcissique et à mieux nous en protéger. Mais le pervers narcissique n’existe pas seul sans sa victime.
Si je dis que l’autre est un pervers narcissique, c’est que je me perçois comme sa victime.
La question devient donc : pourquoi suis-je la victime d’un pervers narcissique ?
La question vous en conviendrez n’est pas confortable ni très « politiquement correcte ».
Il est toutefois indispensable de nous la poser afin de bien comprendre ce qui se joue.
De ce changement de perspective découle une autre question : Peut-il y avoir un plaisir ou un avantage psychologique à se soumettre ?
Nous savons que la liberté peut faire peur. Elle nous met en effet face à nos responsabilités et nous nous laisse dans notre solitude lorsque nous devons faire des choix.
Le pervers narcissique, par la confiance qu’il a en lui et son sentiment d’être supérieur à autrui, peut représenter une figure d’autorité et me donner une illusion de sécurité si je me soumets à son contrôle et à son emprise.
De plus, nous savons que le pervers narcissique s’aime passionnément et qu’il est capable de m’idéaliser. Nous pouvons donc espérer qu’il sera capable de m’aimer passionnément.
Il y a toutefois une condition à cet amour : Que nous ne fassions qu’un avec lui et que nous reconstituions pour lui le couple fusionnel du nourrisson et de sa mère.
Si j’accepte de m’enfermer dans cette bulle, il y a toutes les chances que je doive renoncer à une partie de ma liberté et des aspirations qui me sont propres.
Mais il parfois tellement tentant de succomber à la perspective d’un amour fusionnel pour échapper aux vicissitudes du monde et aux souffrances que celui-ci peut m’infliger.
Enfin, nous savons que notre propre surmoi peut être tyrannique.
La plupart nous sommes de « simples » névrosés (hystériques ou obsessionnels).
Ce qui veut dire qu’au cours de notre développement psychologique, nous avons intégré les normes et les usages de notre entourage propre puis de la société.
Cette « petite voix » intérieure nous permet de brider nos pulsions et de vivre à peu près en paix avec autrui.
Comme disait Freud dans « Malaise dans la culture », les civilisations nous imposent, afin de pourvoir vivre ensemble, un nécessaire renoncement pulsionnel.
Le prix à payer étant la névrose.
Ce surmoi, qui pointe en permanence nos manquements et nos insuffisances par rapport à nos idéaux, se montre souvent tyrannique.
Pour alléger la rigueur de ce regard sévère et scrutateur, nous avons tendance à le projeter à l’extérieur, sur les autres et en particulier sur notre conjoint.
Il est en effet plus facile d’avoir un persécuteur externe, en l’occurrence ici le fameux pervers narcissique, qu’un implacable persécuteur interne auquel il n’est pas possible d’échapper.
Au terme de ces quelques lignes, on peut se demander si le pervers narcissique n’acquiert pas une partie de son pouvoir sur nous de celui que nous lui concédons !
En d’autres termes, en étant victime, ne suis-je pas un peu « complice » ?
Que faire alors ?
La seule solution est de sortir le plus vite possible de ce type de situation et de relation.
Sinon la victime court le grand risque de se faire enfermer dans un cercle de culpabilité et de soumission et de renoncer définitivement à son autonomie, à ses désirs et à sa liberté.
Aller voir un psychanalyste à Paris peut vous permettra de préserver votre santé émotionnelle et mentale. Vous serez en mesure de vous dégager d’une relation d’emprise avec un pervers narcissique et de comprendre pourquoi vous êtes ou avez été sa victime.
Pour aller plus loin, cet article pourrait vous intéresser : Qu’est-ce que la psychanalyse ?