Un hyper rationalisme dévastateur

Je rencontre désormais tellement souvent des gens qui souffrent au travail, qu’il me semblait judicieux d’essayer d’identifier ce qui dysfonctionne dans nos entreprises contemporaines.

Le principal défaut des grandes entreprises actuelles est à mon sens ce que j’appellerais l’hyper rationalisme.

C’est à dire une sorte de « pensée de mécanicien » qui voit l’entreprise comme une entité rationnelle et rationalisable et qui imagine que l’être humain peut être mené de la même façon.

Cette vision de l’entreprise induit des conséquences désastreuses et génère souvent de grandes souffrances.

La démotivation pour conséquence

Une des premières conséquences de l’hyper rationalisation est la démotivation.

Celle-ci est largement induite par le fait que les collaborateurs ont l’impression (mais est-ce vraiment seulement une impression ?) que l’on ne leur fait pas confiance.

La multiplication des procédures et des process a en effet cette conséquence très sensible de « crétiniser » les collaborateurs en leur faisant passer le message implicite qu’ils sont trop idiots pour être autonomes car un autre (plus diplômé, plus près des centres de décisions…) a décidé pour eux de la façon dont ils devaient travailler.

Malgré les dénégations des directions, qui en appellent toujours au réalisme et qui nous opposent des raisons « objectives » et « rationnelles » (nous sommes en guerre économique, il faut faire des économies…).

Une autre conséquence de la « pensée de mécanicien » est l’accroissement du manque de reconnaissance sous l’effet des systèmes d’évaluations et de reporting qui ont proliféré au cours des vingt dernières années. Sachant que ces systèmes appréhendent mal ou pas du tout la qualité du travail. Ils ne mesurent au mieux que l’aspect quantitatif et l’essentiel leur échappent. Le travail c’est en effet avant tout la somme d’ingéniosités, d’expériences, de savoir faire spécifiques à chacun qui fait que la tâche peut être exécutée et qui ne peut être saisi dans une procédure, aussi complète soit-elle.

Il est même possible de dire que c’est en très grande partie parce que les salariés mettent « de l’huile dans les rouages » et ne respectent pas les procédures à la lettre que les entreprises fonctionnent.

L’hyper rationalisation et la multiplication des systèmes d’évaluation ont ainsi tendance à induire un manque de reconnaissance. Car les collaborateurs ont besoin que leur inventivité et la dimension qualitative de leur travail soient reconnues.

Une pensée stérile qui perdure

Comment pouvons-nous alors expliquer que de tels défauts perdurent ?

Je vois un faisceau d’explications dont voici à mes yeux les plus caractéristiques :

–     La croyance que c’est en serrant les boulons que nous sommes plus efficaces. C’est une sorte de fantasme de contrôle et de maîtrise.

–     Une pensée managériale d’inspiration anglo-saxonne, transplantée, assez pauvre et véhiculant l’illusion rationaliste et productiviste.

–      Enfin, à mes yeux de psychanalyste, l’explication principale : l’humain est « compliqué » pour un manager. Le fantasme ultime serait donc de pouvoir le connaître rationnellement afin de pouvoir le manier (si ce n’est le « manipuler ») et de l’utiliser comme un simple facteur de production, voire de le faire disparaître et de le remplacer par des machines, des ordinateurs et des robots.

Sommes-nous alors définitivement condamnés à souffrir encore longtemps au sein des entreprises ?

J’avoue n’être parfois pas très optimiste.

Un changement est-il possible ?

Peut-être que des changements importants interviendront lorsque les entreprises comprendront que les salariés sont beaucoup plus efficaces lorsqu’ils sont heureux dans leur travail.

Nous pouvons peut-être également compter sur l’arrivée dans le monde professionnel des nouvelles générations. Les résultats de nombreuses enquêtes indiquent qu’elles ont une relation moins affective et plus distanciée vis-à-vis des entreprises.

Les jeunes diplômés attachent beaucoup d’importance à l’intérêt du travail et attendent aussi qu’il soit porteur de sens.

Serait-ce alors la peur de manquer de troupes à l’avenir qui fera changer les entreprises ?

Les paris sont ouverts.

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