Est-il possible d’être heureux ?

C’est une question qui traverse l’histoire de l’humanité.

Les philosophes, de l’Antiquité aux Modernes (17° et 18° siècle), ont tenté d’y répondre : vertu stoïcienne, ataraxie épicurienne, paix cartésienne ou souverain Bien kantien.

Tous ces idéaux supposent un sujet libre, maître de ses choix et de sa volonté.

Or, la psychanalyse, depuis Freud, rappelle que nous ne sommes pas totalement transparents à nous-mêmes et que libre arbitre n’existe pas : l’inconscient, avec ses conflits intérieurs et ses répétitions névrotiques, conditionnent notre existence.

Freud et la révolution de la lucidité

Freud a bouleversé notre rapport à nous-mêmes.

Après Copernic (l’homme n’est pas au centre de l’univers) et Darwin (l’homme descend du singe), Freud affirme : « L’homme n’est pas maître dans sa propre maison ».

Nos pensées, nos désirs, nos choix portent consubstantiellement la marque de l’inconscient.

Cela change profondément la perspective sur le bonheur : il ne peut plus être pensé comme une conquête totale et définitive.

Pour Freud, l’homme ne peut accéder qu’à un bonheur sobre et limité.

Le bonheur absolu, celui du nourrisson fantasmant de fusionner avec sa mère, est à jamais inaccessible.

Nous devons composer avec le principe de réalité, c’est-à-dire avec les contraintes et les interdits du monde, de la culture et de la morale.

D’où cette conception parfois sévère : il existe un « malheur structurel » de l’homme, pris entre ses pulsions internes et les exigences de la vie sociale.

Freud dans « Malaise dans la culture », n’a-t-il en effet pas théorisé que le prix à payer à la culture (qui en nous imposant des normes communes, nous permet de vivre ensemble), est le renoncement pulsionnel et donc la névrose ?

Aimer et travailler

Pour Freud, le mieux que l’homme puisse faire est : Aimer et travailler.

Aimer, au sens large : l’amour conjugal, bien sûr, mais aussi l’amitié, la solidarité, les liens sociaux qui donnent intensité et sens à notre vie.

Travailler, non pas comme punition, mais comme activité créatrice et structurante, source de satisfaction et de dignité.

Nous pouvons dire avec la psychanalyse que « Aimer et travailler » est la traduction concrète du programme de plaisir possible dans le réel.

Une cure psychanalytique vise précisément à permettre au sujet de se libérer suffisamment de ses symptômes et de ses répétitions inconscientes pour pouvoir aimer et travailler de façon plus libre et satisfaisante.

Le sens de la vie : le plaisir

Beaucoup de patients commencent une analyse en posant la question du sens de leur vie.

A la question, comment faire pour être heureux, ils espèrent une réponse définitive, une vérité globale qui leur donnerait une orientation stable.

Mais, au fil du travail analytique, ils découvrent souvent que la question du sens se transforme.

Elle s’allège, elle perd son poids métaphysique.

Ce qu’ils découvrent alors, c’est que le sens de la vie n’est rien d’autre que le plaisir.

Cela ne signifie pas un plaisir illimité ou sans contraintes (le plaisir humain au sens freudien est toujours limité et précaire car le principe de réalité reste là) — mais un plaisir sobre, quotidien, incarné dans la vie de tous les jours : partager un repas, contempler un tableau, se promener, faire l’amour, échanger avec un ami.

Ainsi, la psychanalyse n’apporte pas un « grand récit » ou une idéologie.

Elle conduit à une vision lucide de la réalité : la vie n’a pas d’autre sens que d’être vécue, et vécue de façon à en retirer du plaisir.

A l’issue d’une cure psychanalytique, quelque chose « s’ouvre ».

L’analysant(e) se libère des injonctions inconscientes qui le contraignaient à revivre constamment les mêmes choses, comme si un programme informatique immuable et spécifiques se mettait en marche en fonction des circonstances (être parfaite, être un bon fils, séduire sans cesse, réussir toujours davantage…).

Il ou elle devient alors capable d’accéder à des désirs qui lui sont singuliers et peut enfin accéder au plaisir.

Un bonheur simple, mais pas donné d’avance

En définitive, le bonheur n’est pas à chercher dans la consommation sans fin ou dans des idéaux inaccessibles.

Les conditions du bonheur sont sobres et sont celles de nos ancêtres préhistoriques qui vivaient dans un environnement difficile et parfois hostile : ne pas souffrir dans son corps, avoir de quoi manger et dormir, être en sécurité, pouvoir partager avec les autres.

Mais cette simplicité se heurte à un obstacle : la névrose.

Beaucoup restent prisonniers de leurs injonctions internes.

Comment être heureux ?

Tant que ces contraintes inconscientes dominent, le sujet ne peut pas accéder à ce bonheur pourtant en apparence facilement accessible.

La psychanalyse se présente alors comme une voie privilégiée et peut-être la seule possibilité de guérison : elle ne promet pas un bonheur idéal (qui n’existe donc pas).

Mais elle permet de dépasser ses névroses (de faire avec comme dirait Lacan).

Ce qui autorise une libération des entraves intérieures, une ouverture vers plus de créativité et de liberté, vers plus de plaisir.

En somme, nous vivons un paradoxe qui a quelque chose de tragique (ou de comique peut-être).

D’un côté, le bonheur humain est sobre et en apparence facilement atteignable.

De l’autre, nous portons en nous notre principal obstacle au bonheur.