L’interprétation des rêves freudienne : une véritable révolution

A travers l’histoire de l’humanité et pendant des millénaires, les rêves sont restés mal compris et obscurs. Même si souvent on a cru identifier dans les productions oniriques des symboles caractéristiques et pu attribuer aux rêves une faculté un peu inquiétante de prédiction de l’avenir.

Il a fallu attendre le travail de Freud, le père de la psychanalyse, pour parvenir au tournant des 19° et 20° siècles à une approche beaucoup plus rationnelle et rigoureuse apportant une véritable méthode d’interprétation.

Dans L’interprétation des rêves (1900), le livre qu’il a longtemps considéré comme sa grande œuvre, Freud découvre que les rêves ne sont pas aléatoires, répondent à une logique particulière, à une sorte de code, et peuvent faire l’objet d’une analyse et d’une interprétation.

Ce travail de théorisation de Freud eu un retentissement immense et a très durablement marqué l’histoire de la psychologie et la façon dont l’être humain se percevait.

Le travail de Jung ne relève pas de la psychanalyse

Carl Gustav Jung a développé de son côté sa propre théorie des rêves. Pour lui comme pour Freud, les rêves sont une voie d’accès privilégiée à l’inconscient.

Mais attention :  les travaux et les écrits de Jung se distinguent nettement de ceux de Freud.

Au point qu’il n’est pas possible de dire que la méthode et la ligne de G.J. Jung relèvent de la psychanalyse.

Il s’agit d’autre chose.

Il est possible de dire que Jung avait une ambition spirituelle, voire mystique.

Il pensait en effet pouvoir guider ses patients vers une connexion avec le sacré.

Freud était avant tout un scientifique

Alors que Freud se voulait avant tout un scientifique et en toute rigueur, voulait rester le plus près possible de la réalité psychique.

Freud se méfiait même des philosophes qu’il soupçonnait de développer des « visions du monde », souvent brillantes et séduisantes, mais ne permettant pas toujours de dire quelque chose du réel.

Par exemple, Freud tout au long de sa vie n’a jamais voulu s’intéresser aux travaux de Friedrich Nietzsche, alors que les intuitions de ces deux grands penseurs sont souvent proches.

Jung : symboles et inconscient collectif

Pour Jung, les rêve ne visent pas seulement à la satisfaction de désirs inconscients refoulés d’une personne comme chez Freud.
Ils sont riches en symboles issus de l’inconscient collectif (ce dernier étant une sorte de réservoir d’images et de représentations archétypales communes à l’ensemble des êtres humains), ils permettent à l’inconscient de communiquer avec le conscient et ont un effet essentiel dans le processus d’individuation du rêveur.

Processus que Jung définissait ainsi : « J’emploie l’expression d’individuation pour désigner le processus par lequel un être devient un in-dividu psychologique, c’est-à-dire une unité autonome et indivisible, une totalité ».

Les deux fonctions du rêve : accomplir un désir et protéger le sommeil

L’idée principale de Freud est percutante et très novatrice : le rêve par son travail vise à la satisfaction d’un désir inconscient refoulé, généralement lié à des pulsions sexuelles.

Ces pulsions qui sont réprimées dans la vie éveillée mais qui parviennent à se manifester dans le sommeil, en profitant de la résistance affaiblie de l’appareil psychique.

Il dira ainsi que les rêves sont la « voie royale » d’accès à l’inconscient.

On oublie toutefois souvent la deuxième fonction du rêve découverte par Freud : celle de protéger le sommeil.

Nous pouvons alors formuler les choses ainsi : La fonction du rêve s’articule sur l’accomplissement déformé d’un désir inconscient refoulé.  

Mais l’utilité du gain de plaisir obtenu est de servir le désir de dormir.

Ainsi, le travail du rêve tente de libérer le rêveur des restes pénibles de la vie éveillée en les transformant en accomplissement de désir.

Le psychisme cherche l’équilibre en supprimant la tension entre ses deux désirs, le désir de dormir et le désir de l’inconscient.

Le cauchemar contredit-il la théorie freudienne ?

La question des cauchemars reste toutefois ouverte.

Dans ce cas, le rêve semble représenter un échec puisqu’il ne parvient pas à transformer les pensées latentes à contenu pénible et qu’il échoue dans sa fonction de protection du sommeil, car généralement la personne se réveille.

Freud expliquera que si les rêves, pour la plupart, réalisent de façon déformée un désir refoulé, le cauchemar accomplit pour sa part de façon non déformée un désir refoulé.

C’est pourquoi il provoque l’angoisse, et ne contredit pas au final au principe de l’accomplissement du désir.

Le langage du rêve : contenu manifeste et contenu latent

Freud distingue deux niveaux dans l’analyse des rêves : 1-le contenu manifeste et 2-le contenu latent.

1-Le contenu manifeste : Il correspond à ce dont le rêveur se souvient à son réveil : les images, les scènes, les personnages qu’il a vus pendant son rêve.

Ces éléments lui sont apparus d’une façon qu’il pourrait qualifier de « réel », mais il ne peut s’empêcher de les trouver bizarres, absurdes et de ne pas leur trouver de sens.

Il a pu par exemple rêver de voler, de tomber dans le vide, de voir des serpents au fond d’une caverne.

2-Le contenu latent : Il est, quant à lui, la véritable signification du rêve, cachée sous la surface du contenu manifeste. Freud a découvert que les éléments de certains rêves recèlent une signification symbolique liée à des désirs inconscients refoulés.

Le travail du psychanalyste tout au long de la cure est alors d’aider son patient à décrypter le « langage », le « code » du rêve pour en découvrir la véritable signification, souvent liée à des pulsions, des angoisses ou des conflits non résolus.

Freud explique que c’est un mécanisme de censure qui transforme le contenu latent inconscient, en contenu manifeste afin de le rendre moins choquant et plus « présentable » pour la conscience.

Les processus d’élaboration dans le travail du rêve

Freud identifie quatre processus par lesquels le contenu latent du rêve est transformé en contenu manifeste : 1-Condensation ; 2-Déplacement ; 3-Figuration ; 4-Elaboration secondaire.

1-La condensation : Freud a remarqué que le rêve manifeste présente sous une forme extrêmement réduite un nombre très important de pensées latentes. Ce processus combine ainsi en une seule image dans le rêve plusieurs idées, émotions ou souvenirs. Par exemple, un seul être dans un rêve peut représenter plusieurs personnes importantes pour le rêveur.

2-Le déplacement : Ce mécanisme intervient principalement au service de la censure.

Il consiste à déplacer l’accent d’un élément perçu comme menaçant à un élément plus insignifiant. Cette sorte de renversement des valeurs psychiques aboutit à la présence de personnages ou de faits indifférents, ne figurant dans le rêve que pour représenter des éléments importants auxquels ils sont liés. Un rêve de colère contre un supérieur pourrait, par exemple, se transformer en rêve de frustration vis-à-vis d’un inconnu.

3-Figuration (ou présentation des pensées en images) : Ce mécanisme consiste à faire un choix complexe parmi les matériaux élaborés par le rêve et à représenter par une image concrète une pensée abstraite.

4-Elaboration secondaire (ou « scénarisation ») : Nous voyions que le contenu manifeste d’un rêve est une sorte de mosaïque, constituée de fragments de provenances diverses. Il faut donc un « ciment » pour relier tout ceci. C’est la fonction dévolue à l’élaboration secondaire qui ordonne les fragments de discours en leur donnant une cohérence dans un ensemble.

L’interprétation des rêves, une voie toujours valide d’accès à l’inconscient

Aujourd’hui, l’interprétation des rêves reste une pratique essentielle dans la clinique psychanalytique.

Les détracteurs de la psychanalyse ont cru que les travaux contemporains de la neuroscience allaient invalider la théorie freudienne des rêves, mais il n’en est rien à ce jour.

Par exemple, la fonction de protection du sommeil a été confirmée.

En séance, les rêves offrent un champ privilégié pour explorer l’inconscient du patient.

Notons qu’en psychanalyse, l’interprétation complète d’un rêve n’est pas toujours nécessaire, ni même utile.

Certains rêves ne présentent tout simplement pas un grand intérêt pour la cure et ils n’aident pas à dévoiler un pan de l’inconscient du patient.

Ce qui compte, ce n’est pas vraiment le souvenir le plus précis possible, ou « cinématographique » de la production onirique.

Il faut abonner l’idée un peu naïve qui consisterait à nous faire croire que l’on peut lire dans un rêve à livre ouvert comme dans un dictionnaire.

Ce qui importe c’est la façon dont le patient se remémore son rêve au moment où il le raconte et les émotions et les affects qui émergent alors.

L’analyste doit être attentif aux associations que l’évocation du rêve vont susciter chez son patient, les « portes » qui vont s’ouvrir sur son histoire, ses souvenirs, ses émotions anciennes.

Il sera alors possible de mettre en lumière des dynamiques sous-jacentes et de relier les matériaux délivrés par le rêve du patient à ses préoccupations et à ses souffrances.

Le rêve anticipe sur la cure

Le rêve ouvre ainsi des horizons thérapeutiques cruciaux.

Par certains côtés, le rêve est même un cadeau, car il représente parfois une sorte de court-circuit.

En effet, les interprétations faites par le psychanalyste nécessitent beaucoup de temps pour produire ses effets au cours de la cure car elles ne sont pas toujours reconnues ou intégrées par le patient.

En revanche, les matériaux inconscients délivrés par l’activité onirique anticipent souvent sur la cure et la personne admettra beaucoup plus facilement les interprétations qu’elle a elle-même produites en séance.