Pourquoi tant d’incompréhension ?
Je voudrais ici aborder la question des critiques qui sont faites à la psychanalyse et y apporter quelques réponses.
Pour commencer, sachez que je connais assez bien ces objections car il fut un temps où je les partageais en grande partie.
J’avais un certain goût pour la philosophie et les concepts psychanalytiques ne me paraissaient ni plus ni moins être qu’une belle élaboration intellectuelle parmi d’autres. Une vision du monde parmi d’autres. Parfois baroques ou incompréhensibles.
La psychanalyse est efficace
Puis j’ai commencé une analyse et je me suis laissé peu à peu convaincre par son efficacité thérapeutique. J’ai alors découvert que les écrits théoriques ne tombaient pas du ciel mais étaient en prise directe avec la réalité de la vie psychique humaine.
Ce fut pour moi un des meilleurs arguments en faveur de la psychanalyse : les analystes ne peuvent pas « dériver » (ou délirer) car dans leurs cabinets, ils doivent prendre en charge concrètement leurs patients et parfois des pathologies très lourdes.
Ils ont donc besoin d’une théorie robuste et opératoire qui rend compte du réel tel qu’il est.
Des critiques souvent injustes
Voyons maintenant les principales critiques qui sont faites à l’encontre de la psychanalyste et tentons d’y répondre :
- La psychanalyse n’est pas scientifique : En effet ! Mais elle ne peut l’être. Car il n’est pas possible de faire entrer la psyché humaine dans des boites et de constater des effets standardisés. La psychanalyse est néanmoins rationnelle et c’est la première fois dans l’histoire de l’humanité qu’avec Freud, une démarche systématique et rigoureuse de connaissance de l’âme humaine fut entreprise.
- Les cas que Freud décrit sont souvent des échecs : Comme si les psychanalystes ne le savent pas !! Freud disait être un conquistador. Il avait une formation scientifique et était d’une très grande rigueur. Toute sa vie, il a œuvré à un « work in progress ». C’est-à-dire qu’il avançait peu à peu, défrichant et découvrant un champ d’investigation encore largement inconnu. Il se retrouva souvent dans des impasses et dû remanier à plusieurs reprises sa théorie. Mais jamais il n’a cherché à tromper ses lecteurs et il n’a pas caché qu’il n’était pas parvenu à tout résoudre. A la fin de sa vie, il a par exemple avoué que la femme lui était en partie restée un mystère. Il a pourtant laissé un formidable héritage à ses successeurs qui, tel Lacan, se sont employé à répondre pas-à-pas à nombre de questions restées ouvertes.
- Les psychanalystes rendent leurs patients dépendants : Les psychanalystes que je connais sont très rigoureux. Nous nous réjouissons lorsqu’un patient va mieux et ne revient pas. Ce n’est donc pas nous qui les retenons. C’est simplement le fait que l’accès à l’inconscient est difficile et que l’être humain en général ne veux pas changer de structure psychique. La névrose est en effet un mode de défense très robuste.
- Chaque fois qu’un psychanalyste constate échec, il a tendance à le mettre sur le compte de la résistance du patient : Cette critique me semble très injuste. Vous ne pouvez pas savoir combien nous scrutons notre pratique avec nos superviseurs et combien nous sommes attentifs à nos propres erreurs. Je me souviens de l’un de mes maîtres nous disant : « lorsqu’un patient ne revient pas ou lorsque la cure ne fonctionne pas, c’est de la faute de l’analyste ». Nous sommes donc très loin du cliché commun.
- Les psychanalystes ne sont pas diplômés : Mais cela ne veut absolument pas dire que nous n’avons aucune connaissance !! La plupart des gens seraient étonnés de voir combien nous avons passé de temps à acquérir les bases théoriques et ensuite à parfaire nos connaissances et à les actualiser. Freud et Lacan nous ont mis en garde contre la tentation d’un savoir sclérosant et voulaient que les psychanalystes ne soient pas des universitaires. Ceci afin de résister à l’illusion d’un savoir qui saisirait l’intégralité du réel et qui nous pousserait à mettre nos patients dans des catégories et des « boites ». Ce qui serait une négation de la subjectivité fondamentale de l’être humain.
- Les associations psychanalytiques sont des sectes : Comme dans toutes les institutions humaines, certaines dérives sont possibles et il doit exister quelques associations psychanalytiques peu recommandables. Je suis par contre convaincu qu’il s’agit de cas marginaux et que la plupart des associations ayant pignon sur rue sont très rigoureuses. Espace Analytique, celle à laquelle j’appartiens, est de celles-ci. Si vous saviez tout le temps que nos maîtres nous consacrent gracieusement pour nous transmettre leurs savoirs et faire vivre notre pratique. Notez bien enfin, que dans notre monde dominé par un ultralibéralisme mortifère, les associations psychanalytiques restent parmi les dernières sociétés savantes au sens classique du terme. Irvin Yalom, le célèbre thérapeute et écrivain américain, en fait le triste constat. D’après lui, c’est le dernier endroit où une pensée libre et dissidente par rapport au capitalisme peut se déployer.
La psychanalyse est un bastion de résistance
En vérité, la question qui m’intrigue est celle-ci : comment se fait-il que certains intellectuels et philosophes contemporains ne se rendent pas compte que malgré tous ces défauts de jeunesse (et oui, la psychanalyse a moins de 130 ans et est encore très jeune), elle est l’un des derniers bastions de résistance contre la barbarie du monde actuel et mérite déjà à ce seul titre d’être farouchement défendue ?
Héritière d’une pensée riche de plusieurs millénaires d’histoire, qui a inventé la modernité dans le meilleur et le pire (Auschwitz), la psychanalyse est très bien placée pour saisir l’incroyable complexité de l’âme humaine. Elle sait que nous sommes des individus mus par des mécanismes que nous ne saisirons jamais complétement.
Elle sait que nous sommes conditionnés par le langage qui nous inclus à notre naissance dans un ordre qui nous préexiste, et que nous ne pouvons pas vivre autre part que sous le regard des autres (la famille, le milieu social…).
En sommes, nous sommes des individus subjectifs et infiniment complexes dans notre texture psychique.
Ce que ne veut pas entendre le monde contemporain.
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