Réflexion sur la tendance à l’hyper rationalisation au sein des entreprises.
Qu’est-ce que le rationalisme ?
La définition classique consisterait à dire que le rationalisme est une façon de postuler que les effets résultent de causes que le raisonnement peut établir à partir de principes logiques. Il est très utile pour les mathématiques et pour les sciences.
Le management est un art
Mais je ne crois pas que le management et d’une façon générale, ce qui touche aux choses humaines puisse relever d’une telle approche. Je ne soutiendrai même pas que le management relève des sciences « molles » (comme on pourrait par exemple le dire de la sociologie).
Je dirai que dans le meilleur des cas il s’agit d’un art.
Ce qui en vérité n’est pas rien. Et qui renvoie à une part de flou, d’équivoque, d’improvisation et donc en retour de nécessaire créativité qui donne à la pratique toutes ses lettres de noblesse.
La pensée du mécanicien
Nous sommes donc ici très loin des postulats de la pensée managériale dominante qui nous assène des graphiques, des méthodes et des « outils » avec une assurance (voire une arrogance) nous faisant croire à une rigueur toute scientifique.
Cette pensée qui si elle se radicalise, peut produire ce que j’appelle la « pensée du mécanicien » et voir l’entreprise comme une entité rationnelle et rationalisable.
Nous semblons en grande partie avoir collectivement « métabolisé » cette approche du monde et de l’entreprise au point d’en faire une vision normale.
Il nous est donc difficile de prendre du recul et d’imaginer d’autres pensées et d’autres modes de fonctionnement.
Ainsi, de nombreux salariés souffrent et continuent pourtant à se rendre chaque jour dans leur entreprise.
Une hypothétique prise de conscience
Mais imaginons un instant une prise de conscience collective qui d’un coup nous pousserait à nous étonner par exemple qu’au 21° siècle, avec tous les moyens technologiques et les connaissances sur le fonctionnement cognitif des êtres humains dont nous disposons, les entreprises ne soient pas devenues le paradis des travailleurs.
Oui, vraiment étrange.
Imaginons que d’un seul coup, nous décidions de ne plus travailler. De ne plus jouer le jeu.
Que se passerait-il ?
Les entreprises changeraient du jour au lendemain…
Les collaborateurs parlent de leurs entreprises en termes négatifs
Il est troublant d’entendre des salariés d’entreprises très différentes (publiques ou privées, grandes ou petites) parler de leur quotidien professionnel en des termes aussi semblables et la plupart du temps, sur un mode très négatif.
Et en même temps, il est étonnant qu’ils ne parlent pas plus spontanément de leur travail.
Je m’explique. Lorsque vous interrogez spécifiquement des salariés quant à leur réalité professionnelle, il ne faut pas beaucoup les pousser pour qu’ils vous racontent en détail leurs difficultés et leurs préoccupations.
Mais si vous ne les sollicitez pas, ils parlent de tout sauf de leur travail.
Je me souviens par exemple avoir suivi quelques années de jeunes ingénieurs d’une très grande entreprise travaillant pour l’aéronautique. Les projets sur lesquels ils travaillaient me semblaient très excitants et lors de nos premiers déjeuners, je ne cessais de leur poser des questions. Ils me répondaient bien sûr. Mais je sentais bien qu’ils le faisaient un peu par politesse et rapidement nous dérivions et nous nous retrouvions plutôt à parler de leurs enfants ou de leurs loisirs.
Des politiques managériales démotivantes
Je ne soutiens pas ici que nous ne devrions exister que pour et par notre travail.
Mais je souligne le fait que les gens mettent désormais l’essentiel de leur vitalité en dehors de leur travail. En d’autres termes, cela signifie que les entreprises ont pour nombre d’entre elles raté quelque chose dans la façon de mener et de motiver leurs salariés et se privent désormais d’une grande partie et de leur créativité et de leur entrain. A une époque où pourtant – on nous le répète tous les jours – nous sommes en « guerre économique ».
En somme, au moment où les entreprises auraient besoin de mobiliser le meilleur de chacun, elles semblent avoir souvent opté pour des politiques qui conduisent assez surement à la démobilisation.
J’avoue que la chose m’étonne encore.
N’est-ce pas en effet étrange que malgré des dysfonctionnements de plus en plus patents, nombre d’entreprises s’acharnent dans des voies que nous pourrions juger avec bon sens comme sans issue ?
Comment pouvons-nous alors expliquer cette situation ?
Est-ce d’avoir trop joué au lego et au train électrique étant petits garçons qui a laissé à nos dirigeants d’entreprise un tel goût pour la mécanique ? Je parle à dessein seulement de petits garçons. Car force est de constater que les femmes qui ont été des petites filles sont beaucoup moins nombreuses à la tête des entreprises contemporaines que les hommes qui furent des petits garçons.
Allez, j’ironise un peu. Ceci est trop sommaire et je n’imagine pas qu’il puisse n’y avoir qu’une explication. Je vois plutôt un faisceau d’explications dont voici à mes yeux les plus caractéristiques :
- Un esprit rationaliste qui semble être la marque de notre époque et que nous partageons tous en grande partie
- La croyance que c’est en serrant les boulons que nous sommes plus efficaces. C’est une sorte de fantasme de contrôle et de maîtrise.
- Une pensée managériale d’inspiration anglo-saxonne, transplantée, assez pauvre et véhiculant l’illusion rationaliste
- Enfin, l’explication principale à mon sens : l’humain est « compliqué ». Le fantasme ultime serait donc de pouvoir le connaître rationnellement afin de pouvoir le manier (si ce n’est le « manipuler ») et de l’utiliser comme un simple facteur de production, voire de le faire disparaître et de le remplacer par des machines, des ordinateurs et de l’IA